Santé publique : Une société malgache fragilisée par les fake news
In Politikà édition Hors-Série Septembre – Octobre 2023 page n°29 à 32
Lutter contre la désinformation est devenue une question de salubrité publique. Qu’il s’agisse de la santé publique, des élections, de l’économie, du show-biz, du sport ou des actualités banale du quotidien, ce phénomène “glocal” est en train de gangrener notre système socio-médiatique, sans que nous ayons les pourtours exacts d’une vraie politique de lutte contre la désinformation incluant le volet Education aux Médias et à l’Information (EMI)
Une boulevard aux manipulations de masse
L’ère du numérique et dans la société d’information où nous sommes actuellement, la désinformation est au cœur de nos préoccupations. Sa propagation est devenue plus virale avec l’instantanéité des informations grâce aux nouvelles technologies. Elle devient une menace réelle pour la liberté, mais également pour la démocratie. Qu’elle soit le fruit d’une mauvaise intention de la part d’une tierce partie, d’un manque de professionnalisme des acteurs médiatiques, ou simplement d’une banale rumeur circulant au sein de la société, la désinformation est toujours une source de déstabilisation. Elle offre une boulevard aux manipulations de masse dû aux conflits cognitifs qu’elle crée suite à la déformation de la réalité.
Durant la pandémie, l’on a vu naître de concept de l’infodémie, un néologisme né de la fusion de l’information et de l’épidémie. “Les informations trompeuses se comportent comme des agents pathogènes pendant une épidémie : elles se propagent plus rapidement et à plus grande échelle, complexifiant la conduite des interventions d’urgence”, explique l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans sa stratégie de gestion de l’infodémie pendant la Covid-19. La plupart d’entre nous en avaient fait malheureusement l’expérience à cause de l’ignorance, du manque d’information et de rumeurs dans une société marquée par de nombreuses superstitions et fragilisée par de nombreuses crises sanitaires.
Des valeurs mises à mal
La situation a conduit à une crise de l’information caractérisée par la méfiance des citoyens envers le système de lutte contre la pandémie conduisant à une propagation plus rapide et non maîtrisée du virus. Avec un paysage médiatique fortement polarisé, tout a été politisé et chaque sujet sur la pandémie est devenu polémique, compliquant toujours plus la prise de décision pour la population qui a préféré migrer sur les réseaux sociaux pour s’informer, et accorder plus leur confiance à Facebook.
Ce scepticisme s’est traduit par un gap d’information au niveau des acteurs, des parties prenantes et des citoyens induisant au non-respect des gestes barrières, à la propagation des traitements inadéquats, à la réticence envers la vaccination et le protocole de traitement mis en place et surtout envers les médias. Sans un véritable système local de fact checking mis en place pour détecter et riposter contre la désinformation, les fakes news et les rumeurs prendront toujours le dessus avec les conséquences que cela pourrait avoir sur chaque individu et sur la société tout entière.
Tenter de remédier à cette situation s’est donc avéré nécessaire pour Ilontsera en tant qu’observatoire des médias et de la communication à Madagascar dont l’une des principales missions est d’établir la confiance du public dans l’information pour la promotion des droits de l’homme, de la prospérité pour tous, de la paix et du renforcement des liens sociaux. Autant des valeurs qui ont été mises à mal pendant la pandémie et dont les effets se font encore sentir jusqu’à maintenant, sans parler des risques de résurgence du virus à tout moment, mais une réticence à la vaccination de la population perdure.
Retour d’expérience
L’ONG Ilontsera, en partenariat avec un consortium d’autres organisations (Communication Idea Development (CID), la Coalition des Radios, Viamo), s’est ainsi associé à Internews et l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) dans cette lutte contre la désinformation en temps de crise sanitaire, en l’occurrence la Covid-19, pour mener le projet Rooted in Trust (RiT) 2.0, “S’enraciner dans la confiance” ou en malgache “Miorim-paka ao anaty fifampitokisana”. Des mots évocateurs pour essayer de pallier cette perte de confiance du public envers les informations, les journalistes et les médias qui poussent à être de plus en plus indifférents à la vie publique (et politique) et au devoir de redevabilité de nos responsables.
Le projet mené dans trois régions de Madagascar (Vakinankaratra, Matsiatra Ambony, Anosy), s’est déroulé d’octobre 2022 à mai 2023 et consistait à collecter et analyser les rumeurs et la désinformation sur la Covid-19 et les questions de santé publique en général. L’objectif a été de trouver les moyens de riposter efficacement à ces rumeurs et désinformations en informations plus fiables, crédibles et utiles aux communautés pour qu’elles puissent prendre des décisions plus éclairées pour lutter contre la pandémie.
Des journalistes de ces zones d’intervention du projet ont bénéficier d’un renforcement de capacité en matière de fact checking et de la lutte contre les rumeurs et la désinformation en termes de santé publique, eu égard à leur rôle primordial dans cette lutte, notamment par leur travail de vérification des faits et de production de contenus de qualité. Un campagne de communication médiatique déclinée dans cinq langues locales a été réalisée pour conscientiser le grand public et tous les acteurs ainsi que les parties prenantes sur les enjeux de la lutte contre les rumeurs et la désinformation sur la Covid-19.
Un projet multidimensionnel
Une méthodologie basée sur l’inclusivité a été adoptée pour dépasser la politisation de la pandémie. Les acteurs gouvernementaux, les élus de toutes tendances politiques, les membres des Organisations de la Société Civile (OSC), les acteurs médiatiques locaux de tous bords politiques, les humanitaires, les leaders religieux et traditionnels ont été associés à chaque activité du projet dont les tables-rondes régionales pour faire parler d’une même voix tous les acteurs concernés et faire avancer la lutte contre les rumeurs et la désinformation, notamment via l’instauration d’un cadre législatif plus favorable à cette lutte commune.
Toutes les catégories de la population ont été aussi considérées, par exemple lors de la collecte des cas de rumeurs et de désinformation où les personnes peu alphabétisées ont fait partie des panels du focus group. Une donnée qui s’est avérée prépondérante dans la mesure où le volet linguistique a beaucoup compté par rapport aux campagnes de sensibilisation menées pour lutter contre la pandémie. Toutes les catégories socioprofessionnelles ont aussi été représentées, car toutes ont souffert d’une manière ou d’une autre de conséquences socio-économiques de la Covid-19 et des mesures de confinement que tous ont vécu douloureusement.
ONG ILONTSERA
Ilontsera, à travers cette contribution, voudrait partager son expérience avec l’analyse de la désinformation en temps de Covid-19 pour essayer de trouver un système pérenne de lutte contre ce fléau qui risque aussi de mettre en danger les processus électoraux à venir. Les faits de notre histoire électorale récente nous en ont déjà donné un aperçu.
Concocter la riposte
Par ailleurs, le projet s’est voulu innovant avec la méthodologie de l’approche de l’information par la demande, autrement dit concevoir l’information à partir des besoins réels en information des communautés pour s’assurer de leur proposer des contenus de qualités. Grâce au système de traçage des rumeurs (rumor tracking), 56 types de rumeurs et de désinformation sur la Covid-19 ont été recensés durant le projet et ont été par la suite intégrés dans le KoboToolbox.
Ceux-ci ont servi par la suite à concocter la riposte et apporter les éclaircissements nécessaires aux communautés pour qu’elles puissent prendre des décisions justes et adéquates pour affronter la pandémie. Ils ont également été des outils très utiles par les leaders communautaires et les responsables locaux dans leur rôle de fournisseurs d’information et de contenus à leurs communautés. Ils ont ainsi pu améliorer leur système d’information existant et avoir des meilleurs impacts dans la lutte contre les rumeurs et la désinformation sur la santé publique en général et sur la Covid-19 en particulier.
Quelques exemples de rumeurs collectées sur la Covid-19 et son vaccin
“Misy zavatra ampidirina ao anaty vaksiny ka rehefa tonga ny faha-dimampolo taona dia maty” : une substance est mélangée avec le vaccin et quand on atteint les 50 ans, on meurt.
“Paik’ady mba hatao hampihena ny population mondiale” : c’est une stratégie destinée à réduire la population mondiale.
“Politika fameriverena ny saim-bahoaka mba hahazoana vola ny Coronavirus” : le Coronavirus est une politique de distraction de la population pour gagner de l’argent.
“Mampalemy io rehefa lehibe ianao” : plus tu vieillis, plus ça va t’affaiblir.
“Ilay karatra vaksiny Covid, tsy mahazo mandeha fiara na manao visite médicale dia mila an’ireny koa na miditra biraom-panjakana aza” : tu ne peux pas de déplacer en voiture, faire une visite médicale ou aller dans un bureau administratif publi si tu n’as pas la carte de vaccination Covid.
“Tsy mahaela velona fa mampiditra virus ny vaksiny” : le vaccin injecte un virus et on ne vit pas longtemps.
“Ilay chiffre mahakasika an’ilay Covid-19 dia ahenan’ny fanjakana fa tsy ilay chiffre exact” : le gouvernement publie des chiffres réduits sur la Covid-19. Ce ne sont pas les chiffres exacts.
Une stratégie inclusive
La mise en place d’un projet multidimensionnel comme RiT 2.0 est la preuve que la sensibilisation et la mobilisation des acteurs ne peut s’effectuer qu’à travers des activités complémentaires et une approche collaborative. La considération de tous les paramètres, y compris le contexte, les moyens, et les ressources nécessaires, dans la mise en œuvre de la lutte contre la désinformation conduit inévitablement à la mise en place d’une stratégie inclusive afin d’assurer l’efficacité et l’efficience des activités. Grâce aux données recueillies, mais surtout aux résultats obtenus lors du projet, les acteurs et les parties prenantes engagés dans la lutte peuvent s’appuyer sur du concret pour mettre en place une stratégie d’action pérenne pour contrer la désinformation.
L’analyse des relations entre les médias, les gouvernants, les OSC et les citoyens, dont les écart entre l’offre médiatique et les attentes des citoyens ainsi que la question de confiance mutuelle, doit aboutir à la création de nouveaux liens socio-médiatiques capables de nous rapprocher du cercle vertueux de l’information juste, pluraliste et équilibrée, entre autres remèdes contre la désinformation. La riposte ne devrait pas se faire au détriment de la diversité des opinions et du débat d’idées afin de susciter l’engagement des citoyens dans la construction d’une société pacifique, démicratique, prospère et équitable.
Le projet RiT 2.0 peut-être une contribution dans la tentative de systémisation de la lutte contre les fake news et pourrait être dupliqué dans d’autres domaines comme la politique surtout dans les périodes critiques où les enjeux peuvent être tout aussi fatals. Au-delà du tangible avec les pratiques de fact checking et de production de contenus de qualité, la question est surtout d’ordre éthique, moral et déontologique qui doit concerner tous les acteurs médiatiques aussi bien les gouvernants que les professionnels des médias, les OSC et les citoyens eux-mêmes qui peuvent être à la fois victimes et pourvoyeurs de la désinformation, mais qui, paradoxalement, n’ont quasiment pas les moyens de riposter contre ce fléau.
Mamelasoa RAMIARINARIVO et Ialy RAMANANJATO
In Politikà édition Hors-Série Septembre – Octobre 2023 page n°29 à 32
